L’histoire des jardins commence en 1866 à… Menton où le Londonien Thomas Hanbury s’était rendu pour soulager ses crises d’asthme.
Comme on le sait, grâce au livre de James Henry Bennet, Mentone, the Riviera, Corsica and Biarritz as a winter climates, la ville était devenue un des winter resorts préférés des Anglais.
Thomas apprécie les lieux et décide d’yacheter une demeure. Il n’a que 34 ans et il est richissime : il vient de passer quinze ans en Chine où l’immobilier et l’importation du thé et de la soie ont fait sa fortune. Il peut se permettre d’acheter tout un promontoire (18 hectares avec une villa au milieu) à La Mortola, entre a RN Aurelia et la mer ; en Italie, donc, mais à deux kilomètres de la frontière du pont Saint-Louis. À quelques centaines de mètres, à Grimaldi, Bennet, qui est devenu son ami, est en train de construire son « Eden au milieu des rochers », un des premiers jardins d’acclimatation de la région.
Les deux Londoniens réalisent pratiquement en même temps le« rêve babylonien » des riches anglais de la Belle Époque : créer des villas et des jardins surplombant la mer qui font penser aux jardins suspendus créés à Babylone par Sémiramis. Un rêve qui ne manque pas d’être alimenté par les écrits du botaniste allemand A. von Humboldt encourageant « le pur sentiment de la nature » et la découverte des « terres éloignées où poussent les palmiers ».
Le domaine est, pour ainsi dire, métamorphosé.La tâche est gigantesque.On assainit, on construit des réseaux de « beà » (canaux d’irrigation, en langue locale), on fait venir des espèces de toute la Méditerranée et surtout de l’hémisphère austral. C’est l’acclimatation dans toute sa splendeur : les plantes ne doivent pas « soupçonner » avoir été arrachées à leurs chaleurs hivernales et doivent continuer à fleurir dans les mois habituels : décembre, janvier, etc.
Une profusion de fleurs de toutes sortes et de toutes couleurs, ainsi que de plantes et d’arbres aux feuillages variés est garantie tout au long de l’année. Les conditions climatiques exceptionnelles et la configuration du terrain favorisent, bien entendu, la tâche. On trouve intéressant de maintenir une partie du jardin à l’état de forêt méditerranéenne.
Les travaux sont dirigés par de grands botanistes tels que les Allemands Ludwig Winter et Alwin Berger, le grand spécialiste des plantes succulentes. Le paysage est modifié. Abel Rendu, un voyageur français qui était passé par là avant l’arrivée des deux Anglais, avait été frappé par le contraste offert par deux vallées contiguës, celle du torrent Sorba, où se trouvent Grimaldi et La Mortola, et celle du torrent Latte ; « On passe du désert de la première à la Terre promise de la deuxième», écrivait-il. Quelques décennies plus tard, lorsque les travaux de Bennet et de Hanbury seront terminés, une semblable comparaison ne viendra plus à l’esprit de personne, bien au contraire…
Les architectes ne chôment pas non plus. On agrandit la jolie villa – où les clins d’oeil à l’histoire locale et à la Chine ne manquent pas -, on construitd’élégantes fontaines, des temples, un mausolée mauresque et un beau portail qui accueille les visiteurs avec l’idéogramme « Fô » : bonheur. Du fait de son caractère et de son obédience religieuse quakerienne, Thomas Hanbury, se consacra à de nombreuses oeuvres de bienfaisance : des fontaines publiques (celle de Menton est très agréable) et des écoles, sans oublier la halle aux fleurs de Vintimille qui est actuellement devenue le « mercato coperto ».
Il donna aussi le terrain sur lequel s’élève le célèbre Jardin Wisley, dans les environs de Londres. Ses héritiers continuèrent sa tâche, mais après la Deuxième Guerre (les temps ont changé), ils sont obligés de vendre le domaine à l’Etat italien qui en confie lagestion à l’Université de Gênes.
Nous avons demandé à Mme Elena Zappa conservatrice des Jardins combien d’espèces sont actuellement en culture dans le jardin et quelles sont les plus importantes.
– Les espèces sont environ 3500. Les premières ont été achetées dès 1867 à la pépinière de Charles Huber à Hyères et ont été suivies par d’autres obtenues à partir de graines ou en échange avec d’autres jardins botaniques ; un apport important de plantes et de graines provient du jardin de la villa de Gustav Thuret à Antibes. Plusieurs spécimens ont une valeur culturelle, paysagère et biologique importante en raison de leur rareté ou de leur taille. Voilà une petite liste avec la date d’introduction dans notre jardin : Araucaria cunninghamii (1872), Beaucarnea recurvata (1888), Beaucarnea stricta (ante1889), Brachychitondiscolor (1893,deux exemplaires de taille remarquable), Casimiroa edulis (1869), Chiranthodendron pentadactylon (ante 1938), Eucalyptussyderoxylon (ante 1889), Melaleuca cuticularis (ante 1912), Melaleuca preissiana (1872), Melaleuca styphelioides (ante 1889, provenant du Botanic Garden de Melbourne), Microcitrus australis (ante 1889, le spécimen le plus vieux d’Europe), Olmediella betschleriana (ante 1912) et Yucca carnerosana (1900).
Quel est le rôle des Jardins Hanbury dans la botanique ligure et azuréenne ?
– Ils sont impliqués dans la protection et la valorisation du patrimoine botanique et de la biodiversité en Ligurie, ainsi que dans plusieurs projets européensauxquels participent également des partenaires français. Ces projets concernent à la fois la lutte contre les insectes ravageurs et les plantes envahissantes et la formation professionnelle dans le domaine des jardins et des espaces verts publics et privés. Je tiens à informer nos amis du Mentonnais que nous sommes convaincus de la nécessité de renforcer le partenariat actuel entre trois jardins de la Riviera francoitalienne (Val Rahmeh, Villa Thuret d’Antibes et Hanbury). Le but commun est de conserver la biodiversité maritime et terrestre, ainsi que d’améliorer la visibilité de nos jardins et la qualité des services rendus aux visiteurs.
Enzo Barnabà
(auteur du « Rêve Babylonien », Ed. SAHM, 2023)
Photos Jean-Claude Lafaye
Tratto da “Ou Païs Mentounasc”, aprile 2024
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